Dans la société pyrénéenne traditionnelle, « la Maison » , symbole de la famille, impose son nom aux hommes et aux femmes. Et l’ancien adage gascon précise que « le seuil ne change pas de nom ». Jusqu’à la loi du 6 fructidor An II (23 août 1794), l’usage en Béarn veut que le nom de maison s’impose à tous les habitants d’un ostaü au détriment de l’usage du nom patronymique.

Volet 3 : Transmission du nom et usages pratiques

Identité sociale mais aussi élément patrimonial, le nom de maison se transmet à l’héritier comme un droit attaché à la maison. Il est porté fièrement par le cap d’ostaü en premier lieu, ainsi que par toutes les personnes sur qui il exerce son autorité : l’héritier ou l’héritière et ses enfants, la bru ou le gendre, la fratrie de l’héritier ou de l’héritière, les oncles et tantes, tant qu’ils demeureront dans la maison dans l’état de célibat, mais aussi les métayers et les domestiques. Si les gendres perdent le nom de la maison d’où ils viennent pour prendre, jusqu’à leur décès, celui de la maison dans laquelle ils entrent, c’est que les coutumes du Béarn, fidèles à la notion d’intérêt commun supérieur, appliquent une transmission intégrale du patrimoine (entendu comme biens matériels et immatériels, donc patronyme inclus) à un successeur unique. Un droit d’aînesse qui s’applique aux garçons mais également aux filles.

La femme pyrénéenne possède donc un statut remarquable, lui permettant d’être héritière et « la » chef de maison. Évidemment, son patronyme sera transmis à ses héritiers car ils relèvent de sa maison. La transmission du nom patronymique de la lignée maternelle est donc logiquement fortement présente en Béarn (près de 15 %) jusqu’au début du XXe siècle.

Le rôle des registres d’État civil n’est alors pas seulement celui d’assurer la filiation mais aussi d’enraciner la place de chaque individu au sein d’une famille, d’un groupe, d’une communauté. Ils révèlent davantage d’une préoccupation d’insertion dans une communauté d’habitants que d’un objectif de validation d’une filiation généalogique. Cette coutume éclaire l’étonnante instabilité observée dans la dénomination des personnes, d’un registre à l’autre, d’une période à l’autre, d’un scripteur à l’autre.

Le patronyme réel, souvent appelé « nom de signature » pour les documents officiels, n’est pas toujours celui employé dans la sphère sociale et familiale. Il va différer suivant l’âge au moment de l’acte, suivant la position et le nombre d’enfants dans la fratrie, suivant l’évènement, mais surtout suivant le rôle et le groupe social, un même individu pouvant ainsi voir son nom et son prénom évoluer tout au long de sa vie. Lorsqu’il est enfant, il sera dénommé sous le patronyme de son père et/ou de sa mère ou sous son nom de maison.

À titre d’exemple, voyons Jean Barats de la maison Capdevielle. Il peut être inscrit sur les registres sous les identités de Jean Barats ou Jean Capdevielle, suivant l’acte et l’évènement, et suivant sa place dans la fratrie (en sachant que cette donnée est évolutive). Avec les poussées démographiques et l’augmentation de l’espérance de vie et des homonymes, il peut également être nommé Jean Barats dit Capdevielle. « Dit » est alors à entendre comme « du lieu-dit de », c’est-à-dire intégré à l’autorité et à l’écosystème de la maison Capdevielle. Finalement cadet, Jean, à son union avec l’héritière Justine Mirande sera nommé Jean Barats dit Mirande ou Jean Capdevielle dit Mirande. L’entrée en gendre donne droit dans un premier temps d’adjoindre à son patronyme celui de la maison d’accueil. Ce n’est que lorsqu’une descendance sera bien établie que le gendre sera reconnu comme un membre à part entière de sa nouvelle maison et donc nommé uniquement par son nouveau nom de maison. Il pourra même voir son prénom modifié au profit de celui de sa femme genré au masculin : Jean époux de Justine sera prénommé Justin Barats dit Mirande et paraphera comme tel. À son décès, on le retrouvera ainsi dans les registres sous le nom de Jean Mirande ou Justin Mirande.

Bien que le Code Civil napoléonien entérine la règle de dévolution patrilinéaire du nom de famille dès 1804, en Béarn il faudra attendre le milieu du XIXe siècle pour assister à un renversement de tendance avec une meilleure correspondance entre les divers actes. Aujourd’hui, l’usage et la reconnaissance du nom de maison dans la vie quotidienne perdure et préside dès que possible aux nouvelles règles d’État civil. Pour preuve, dans le journal régional, les faire-parts de décès mentionnent régulièrement, encore aujourd’hui, les noms de maison.

Sources et références bibliographiques :

  • R. Segrestin, L. Jakobi et P. Darlu, Généalogie et transmission du nom en Béarn du XVIIIe au XXe siècle » in Bulletins et mémoires de la Société d’Anthropologie de Paris, 2007.
  • Isaure Gratacos, Femmes pyrénéennes : Un statut social exceptionnel en Europe, éd. Privat, 1987.
  • Registres paroissiaux et d’État civil de Doazon, 1740-1889, Archives Départementales des Pyrénées-Atlantiques.
  • Annuaire du Sud-Ouest, Monein, 1901 et 1913.